La 43e Coupe Aéronautique Gordon Bennett

Albuquerque Nouveau Mexique - 1999

 

La Coupe Gordon Bennett est la compétition la plus prisée dans le monde du ballon. Seulement les trois meilleures équipes de chaque pays peuvent participer à cet événement sanctionné par la Fédération Aéronautique Internationale. Il y a deux règles principales : le gagnant est l'équipe qui parcours la plus grande distance, et c'est le pays de l'équipe gagnante qui décide du lieu de la prochaine compétition. Comme il y a peu de pilote de ballon à gaz au Canada, il n'y avait que deux équipes inscrites. Stan Wereschuck avec Ron Martin de l'ouest du pays et nous Danielle Francoeur et Leo Burman du Québec.

 

Nos débuts en vol à gaz

Connaissant très peu le ballon à gaz, c'est avec beaucoup d'attention que nous avons écouté Cathy Knuckel lorsqu'elle nous a raconté son expérience vécue en 1990,  alors qu'elle était observateur pour une compétition de ballons à gaz  à Tyndall, South Dakota. De voir l'enthousiasme  de Cathy à nous relater cet événement, avait suscité beaucoup d'intérêt chez nous. Ce n'est qu'en 1993 qu'on entend parler  à nouveau de vol à gaz. La Coupe Gordon Bennett avait lieu aux États Unis car David Levin et James Herschend avaient gagné la coupe l'année précédante. Ron Martin  accompagné de Stan Wereschuck devaient y participer, mais à la dernière minute Stan a dû abandonner. Ron connaissait Danielle,  et il lui a offert d'être copilote dans l'aventure. Nous étions emballés par le projet, nous nous sommes donc rendus pour la première fois à Albuquerque au Nouveau-Mexique. Le moment venu, une fois le gonflement terminé, nous nous sommes rendu compte d'une fuite dans le ballon. J'ai pu déterminer que le ballon ne pouvait pas tenir la nuit, et qu'il n'aurait plus de leste trois heures après le décollage.  À 22h30, c'était déjà la fin de notre première Coupe Gordon Bennett. La déception fut grande, mais comme nous étions dans le monde du ballon depuis plusieurs années, nous avons appris que mère nature ou d'autres contraintes  peuvent survenir à la dernière minute, nous avions avantage à être un peu philosophe et d'accepter notre sort. Nous en avons profité pour obtenir la qualification pour le vol de nuit, ce qui était inconnu au Québec à ce moment là. Nous avons aussi très appréciés de voler dans le plus grand rassemblement de ballons au monde.

Cette expérience a piqué notre curiosité pour le vol à gaz. La même année Danielle et moi sommes allés au Colorado pour nous familiariser avec les vols utilisant  l'ammoniaque comme gaz portant. Nous avons fait trois vols dont un vol sans instructeur. Il n'en fallait pas plus pour nous accrocher.  Pour nous, faire de la montgolfière était très excitant mais nous nous disions que la seule chose qui pouvait être amélioré, était de voler sans le bruit des brsûleurs. C'est ce que les vols à gaz nous ont permis. Ils sont silencieux. Nous volons généralement à une altitude plus haute et des distances plus grandes, les temps en vols  sont de beaucoup allongés. Nous l'avons déjà mentionné, pour un vol en montgolfière, on a besoin de connaître la météo pour les prochaines heures, mais pour un vol à gaz, il nous faut connaître le temps à venir pour les prochains jours. La navigation est plus sophistiquée aussi, lors de nos vols de compétition, nous avons à bord un tas d'équipement dont entre autre les cartes aéronautiques pour couvrir toute l'Amérique.

Depuis nos débuts en vol à gaz, nous avons fait au moins un vol à chaque année. Au début, nous volions avec un autre pilote, afin d'accumuler les 50 heures d'expérience nécessaires pour devenir commandant de bord pour les compétitions.

Notre deuxième participation à une Coupe Gordon Bennett, fut à Paris en 1998. Les coûts de l'aventure  étaient assez élevés, l'inscription seule fut de 3 800 $. Mais, nous avions la chance de partir du centre de Paris, nous devions décoller des jardins des tuileries,  juste à coté de la Place de la Concorde. C'était quelque chose que nous ne voulions pas manquer!  Nous avons donc décidé de faire les efforts pour y participer, ce fut une expérience difficile. Les Français ont des façons différentes de faire les choses. Pour nous, ça semble beaucoup plus compliqué. Au moment de notre inscription, nous avons reçu les règlements de la compétition, mais au fur et à mesure que le temps passait, on nous imposait d'autres règles. On n'a pas changé les règlements de la compétition, mais on a ajouté plusieurs contraintes qui rendait la chose plus difficile. 

Le départ était prévu pour le samedi soir et le créneau de décollage était que de 23 h 30 à 4 h 30 le dimanche matin.  Comme la météo ne s'y prêtait pas, le départ à été remis au lundi soir suivant. Nous n'avions pas la permission de remettre le décollage de Paris en dehors de ce créneau. Le dimanche les camions ne circule pas, il a fallu attendre au lundi pour tenter un autre décollage en dehors de Paris. Là encore, la météo ne nous a pas permis de faire un vol à vue, la compétition a simplement été annulée.

Nous sommes reconnaissants envers nos amis français qui nous ont permis de rendre le reste de notre séjour très agréable. Heureusement pour nous, la FAI a demandé à l'organisation de rembourser aux compétiteurs les frais d'inscription. Trois pays se sont proposés pour tenir la prochaine Coupe Aéronautique Gordon Bennett, et ce sont les États-Unis qui l'ont obtenu.

Notre troisième participation à une Gordon Bennett. En octobre 1999, nous avons fait les arrangements avec des amis d'Albuquerque pour utiliser leur ballon à gaz. Comme il allait n'y avoir que trois équipes américaines qui y participent, nous savions que plusieurs ballons étaient disponibles. Le ballon de Peter Cuneo et de Barbara Fricke n'avait que 20 heures, effectuées en seulement deux vols. Ils ont aussi accepté de s'occuper du gonflement du ballon, avec nos amis français. Ce qui nous enlevait un tracas.

C'est impressionnant la quantité d'équipement que nous avons besoin à bord. Il faut penser aux radios d'aviation et du transpondeur, des radios de communications avec la poursuite, des instruments de vol, la balise de localisation d'urgence, les GPS, une bonne quantité de batteries pour faire fonctionner tout ça, les cartes, le système d'oxygène, quelques outils, des vêtements chauds, de la nourriture et de l'eau pour trois jours etc. Nous devons aussi tenir compte du poids puisque c'est un facteur très important pour pouvoir voler longtemps. Nous devons aussi placer chaque chose à sa place, une nacelle de un mètre par un mètre cinquante, ce n'est pas très grand. Si on ne replace pas les choses là où elles vont, ça devient très vite le chaos.

Une de nos frustrations  lors de nos vols précédents, fut de ne pas avoir accès aux informations météo une fois en vol. Les briefings météo avant le départ sont très complets, mais une fois partis, nous avons besoin de mise à jour des changements climatiques. Les stations d'informations de vol nous aident, mais n'ont pas les détails précis de tout ce dont nous avons besoin.

Cette année, nous avons rencontré les gens de Météo Média à Montréal dont Pierre Dionne, chef de service, développement météorologique à Montréal. Nous leur avons parlé de nos besoins. Ils nous ont fournis (sur une base non prioritaire) les services de météorologie, en échange d'interviews sur leur chaîne de télévision. Messieurs Nicolas Major et Denis Larochelle,  deux de leurs météorologues, étaient au festival de montgolfières à Gatineau en 1999. Ils étaient  déjà familiers avec les besoins des aéronautes,  nous n'avons  eu qu'a préciser ce que nous avions besoin pour un vol à gaz.

Notre équipe de poursuite est composée de deux dames du Texas, repêchées par internet. Donna Gardiner Startz possède beaucoup d'expérience dans le domaine, elle a atteint le plus haut niveau de compétence dans le système de classification des équipes de poursuite américaines. En 1998, elle a fait la poursuite pour David Levin (un des meilleurs américains en compétition à gaz). Laura Hearn, une amie de Donna, n'a jamais fait de poursuite à gaz, mais n'a pas peur de conduire un camion sur de grandes distances. Elles sont très efficaces en lecture de carte et savent très bien interpréter les coordonnées GPS.

Le vendredi, l'inscription se fait sur le site d'Albuquerque. Le tout se passe très bien. On  fait l'inscription pour la montgolfière en même temps. Nous recevons  des beaux manteaux identifiés à l'événement, des sacs de voyage remplis de toutes sortes de choses en plus des dollars fiesta (de l'argent Albuquerque qui nous permet d'acheter des souvenirs à leur boutique). Les participants sont logés dans un hôtel luxueux près du site. Dans l'après-midi, nous avons la première rencontre avec l'organisation, on nous donne les explications des règlements, on  fait le tirage de l'ordre des départs. Nous serons les troisième à partir sur vingt équipes. Nous avons un premier briefing météo par David Dehenauw, un des météorologistes de l'équipe Brietling Orbiter III qui a réussi le premier, le tour du monde en ballon sans escale. 

Le samedi midi, nous avons une deuxième rencontre, le météorologue nous donne le synopsis : Les vents sont plus rapides en altitude. Les premiers 24 heures seront sans histoire, mais comme il y a déjà un système  dépressionnaire  au Nord-Est de notre trajectoire, se déplaçant vers le Sud-Est, nous n'aurons pas avantage à aller trop vite. Il y aura aussi un autre système en formation au-dessus du golfe du Mexique qui lui se déplacera en direction Nord-Est, nous n'aurons pas avantage à traîner. Le départ est donc prévu pour commencer à 18 h 30 ce soir.

Les équipes prennent leur place sur le site de décollage. Nos amis français Jean-Mi, Nicolas et leurs épouses s'occupent des sacs de sables pendant que Peter et Barbara (les propriétaires du ballon)  préparent le gonflement du ballon. Comme le temps est un peu venteux, seulement les trois ballons à filet peuvent commencer à gonfler, les autres  les ballons « Quick fill » préfèrent attendre des conditions plus calmes.  Tout d'abords, le départ à été retardé à 19 h 30, on nous annonce  un autre énoncé de météo pour 18 h 00. Nous commençons à gonfler notre ballon à 17 h, il y a encore pas mal de vent, mais tout se passe bien.

Le départ est encore repoussé, soit 20 h 30, parce que quelques ballons ont eu des difficultés avec la pression d'hélium. Pendant ce temps, j'ai donné deux entrevus par cellulaire à la télévision pour Météo Média, et du même coup, nous avons échangé des informations météorologiques avec leurs spécialistes. On nous suggère de voler franc Est. Notre stratégie sera de traverser la chaîne de montagnes tout de suite en partant, sans monter trop haut, pour conserver notre trajectoire vers l'Est.  Si nous montions trop vite, nous risquerions d'aller vers le Nord-Est et d'aller trop proche du système météo existant.

Notre ballon était prêt pour le décollage.  Nous avons près de 450 kg de leste supplémentaire (trente sacs de sable) afin de garder le ballon bien en place en attendant notre tour pour le départ. Une dernière vérification de la part des officiels, tout est  conforme. On nous demande de se rendre au lieu de lancement dans 5 minutes. On enlève lentement les sacs de sable de surplus jusqu'à ce qu'on soit quasi à équilibre. Notre équipe nous porte lentement vers le podium. Un groupe d'environ 200 personnes nous suit. C'est grandiose. Nous montons les 10 grandes marches qui nous mènent sur le majestueux podium de 15 mètres carrés. Peter et Jean-Mi, s'occupent de parfaire l'équilibre du ballon.  Deux autres sacs sont retirés, assez pour nous faire monter près de 500 pieds, nous sommes vraiment légers, mais nous sommes retenus encore quelques secondes.  Pendant ce dernier moment où nous avons un contact physique avec les autres de ce monde,  des gens nous souhaitent bonne chance, d'autres nous crient « bon vol!  ». Nous saluons nos amis dans cette grande foule. Tous veulent être témoins du départ des ballons pour cette intéressante aventure.

C'est au son de notre hymne national, des acclamations et des applaudissements de la foule que nous quittons majestueusement la rampe à 21 h 50. Le vent de l'Est à 5 kt nous amène temporairement vers la direction opposée de notre vol. Pendant les premiers moments de notre vol, nous sommes occupés aux manœuvres d'après décollage. D'abord s'assurer que la fausse portance ne nous renvoie pas au sol, sortir les feux de navigation, allumer le transpondeur.  Nous avons en main un contenant d'eau prêt à verser en bas au besoin. Nous devons aussi nous assurer de survoler à une hauteur convenable les tours de transmission juste à l'Ouest du site. Nous montons lentement à 200 pi/min. Nous nous  retournons pour voir l'endroit d'où nous venons de décoller. Le site devient de plus en plus petit, mais nous pouvons voir le prochain ballon  en train de se rendre au podium. Nous entendons encore les haut-parleurs annoncer les prochains concurrents, et la foule les acclamer. La foule est encore plus grosse que nous ne l'avions imaginer.  Ces sons ont diminué lentement,  pour faire place aux bruits de la ville.  Nous sommes partis avec 25 sacs de sable de 15 kg plus 20 litres d'eau.

Nous délestons de l'eau pour augmenter notre taux de montée à 300 pi/min. Nous sommes maintenant en direction Est vers les montagnes Sandia. Les lumières de la ville baissaient lentement, nous devons passer les montagnes à une distance sécuritaire. La règle de sécurité dit : être au moins 1 000 pieds plus haut que le sommet pour chaque 10 kt de vent. Par contre, nous ne voulons pas être trop hauts pour ne pas aller trop vers le Nord-Est. Nous avons un télémètre bon jusqu'à 800 mètres. Nous surveillons  la hauteur du sol   constamment. À 22 h 35, nous traversons le sommet de Sandia Peek à 491 mètres plus haut et à une vitesse de 24 kt. Nous sommes en bas de la règle d'or (Il est conseillé de passer le sommet d'une montagne par  au moins mille pieds par 10 nœuds de vitesse afin d'éviter d'être pris dans des rotors causés par les vents rabattants sur l'autre coté de la montagne), mais comme le versant Est de la montagne a une pente assez douce, nous  décidons de voir la réaction du ballon, et d'agir en conséquence à ce moment là. Le ballon s'est mis à descendre à 200 pi/min nous avons immédiatement corrigé avec deux tasses de sable. Nous nous sommes stabilisés à 11 000 pi avec une direction de 095°,  et une vitesse de 20 kts.  À minuit, nous parlons au météorologiste. Il nous  confirme que nous avons une bonne altitude, et nous demande de ne pas se laisser monter afin de ne pas s'approcher du mauvais temps. Nous avons un appel radio de notre équipe de poursuite, ils ont un problème de surchauffe du moteur. Ils sont arrêtés à Clines Corner, à moins d'une heure d'Albuquerque, et attendent que le moteur  refroidisse. Je leur ai suggéré d'attendre jusqu'au matin et de voir si une réparation pouvait être faite. Il n'y a pas grand chose que nous pouvons faire de l'endroit ou nous sommes.  Nous  continuons la nuit a une altitude variant entre 10 000 et 11 000 pieds, avec la même direction et la même vitesse. Nous n'avons presque pas utilisé de sable pendant  la nuit, à part bien sur les neuf sacs pour la montée.


À 6 h 20, nous commençons à voir la lumière du jour à l'horizon. Ça nous permet de voir deux autres ballons, un plus bas, en direction Sud-Est, et l'autre plus haut vers le Nord- Est. Vingt minutes plus tard, nous apercevons un troisième ballon en arrière de nous au Sud-Ouest. La géographie du Texas nous semble familière, la plus part des vols que nous avons faits d'Albuquerque nous ont amenés dans cette direction. À 7 h 40, nous parlons  au météorologue de Météo Média. Il est satisfait de notre position. Les précipitations du Nord-Est de la veille ont continué de se déplacer dans la même direction, ce qui est bien pour nous. Nous contactons aussi le poste de commande à Albuquerque, pour leur donner notre position. Ils nous informent que notre équipe de poursuite a regagné Albuquerque. Ils ont un problème de radiateur semble-t-il. Nous essayons de ne pas penser à ce problème puisque nous ne pouvons rien faire de toutes façons. Notre équipe de poursuite ne manque pas de ressources, et de plus, nous avons des amis à Albuquerque qui, au besoin, peuvent les aider dans leurs décisions.

La chaleur du début du jour nous fait grimper jusqu'à 11 800' ce qui nous donne un peu de gauche. Nous avons maintenant un cap d'environ 075°

À 12 h 00, nous sommes à 100 km SSE d'Amarillo. Nous avons une autre conversation avec le météorologue de Météo Média, il nous suggère de rester dans les alentours de 10 000 pieds pendant la nuit prochaine, afin de garder notre vitesse, puisque plus bas, nous allons avoir seulement la moitié de la vitesse. On doit s'attendre à un peu de pluie sans gravité dans le Sud-Est de l'Oklahoma, un résidu du système du Nord-Est. Il nous dit que pour demain, on doit s'attendre à des vents modérés à  forts avec des rafales au sol, ces vents viendront de l'est, soit de direction contraire à ceux en altitude.

Nous semblons nous rapprocher des ballons en avant de nous, et nous distancer de celui en arrière. Nous préparons le repas, mais nous n'avons pas beaucoup d'appétit. Nous mangeons seulement la moitié de ce que nous avons préparé. Danielle profite d'un vieux livre français prêté par Peter, il est écris par Ernest Demuyter, un belge qui a gagné 5 Coupe Gordon Bennett, c'est très inspirant dit-elle.

À 13 h 45, nous sommes à 15 milles nautique de Childress, TX, nous demandons à Fort Worth radio de relayer notre position au centre de commande de la Gordon Bennett, on se rendra compte plus tard, que le message n'est jamais passé. À partir de 14 h 30 une lente descente  commence. À 15 h 00 nous entrons en Oklahoma. C'est intéressant de voir le changement de couleur du paysage. Au Texas, c'est jaune pour aussi loin qu'on puisse voir, mais ici, c'est de plus en plus vert. À 16 h 20  d'Albuquerque, nous sommes à 10 000 pieds et à 350 milles nautiques de notre point de départ. Une couche nuageuse commence à se former en direction Sud-Est. Vers 17 h 00, nous avons un cap de 063°, ce qui nous laisse espérer passer à gauche de ces nuages… mais nous nous en approchons de plus en plus. Nous avons  beaucoup de difficulté à rejoindre notre météorologue. Il  nous  dit que ce système se dirige vers l'est et qu'il n'y a pas de pluie associée, et que demain, nous serons en arrière de celui-ci. Les vents pour demain lundi seront du Nord-Ouest à 12 kt à 2 000 pieds et du Sud-Ouest à 18 kts à 7 000 pieds.

Plus nous allons vers le couché du soleil, plus nous approchons des nuages. Nous laissons le ballon descendre afin de voir si nous pouvons garder ces nuages à notre droite. Si nous gardons cette altitude, nous ne pourrons pas éviter de les survoler. Nous vérifions les vents au sol, ils sont du nord à 17 kts avec rafales à 22 kts. Nous n'avons pas envie de tenter un atterrissage dans ces conditions, ce serait  risqué, surtout que nous sommes au-dessus de terrain assez accidenté.

D'un autre coté, nous sommes incertains face au passage par-dessus la couche nuageuse et on peut apercevoir des nuages plus hauts, qui nous semblent loin en avant et à droite de nous.  Nous avons suffisamment de sable pour faire une autre nuit sans problème, mais nous ne voulons pas  se faire prendre dans les nuages, ou pire, dans du mauvais temps. Par précaution, pour le cas où nous voudrions faire un atterrissage de dernière minute,  nous entrons tous les sacs de sables à l'intérieur, nous les  plaçons sous le lit. Nous faisons une vérification avant l'atterrissage juste au cas. Nous dégageons la ligne de la soupape,  puis nous tâchons d'avoir  foi en notre météorologiste qui nous dit que les nuages se dissiperons demain et que rien de sérieux ne se développera cette nuit. Il semble évident que nous allons survoler ces nuages. La nuit tombe rapidement.

À 20 h 00, les nuages sous nous sont devenus épars et nous avons gagné 800 pieds sans délester, ça  nous fait traverser une mince couche de nuages mais nous voyons les lumières au travers. Au sud de nous, des gros nuages, notre cap est de 077°. À 20 h 15, notre cap change soudainement à 105°, et la vitesse passe de 21 kts à 15 kts. De toutes évidences, nous étions affectés par ce qui nous entourait. Je jette deux tasses de sable pour tâcher de sortir de cet effet, et ca fonctionne.

À 21 h 00, nous entrons dans la zone de la ville d'Oklahoma, nous avons une mince couche de nuage sous nous. Le contrôleur nous demande combien de ballons sont dans cette compétition? Il voit quatre ballons sur son écran radar. Il nous a aussi demandés où nous allions? Pas facile à répondre : le plus loin possible lui dis-je, jusqu'à l'atlantique si on peut, c'est ça l'idée de la compétition! À 22 h 25, nous savons qu'un autre ballon est à 15 milles nautiques au nord de nous, nous voyons des éclairs mais le contrôleur ne voit rien sur son radar qui a une portée de 55 milles nautiques. À 23 h 10, pendant que je dors et que Danielle est de garde, des gouttes de pluies tombent dans la nacelle sans qu'il y ait de nuages au-dessus de nous. Nous laissons descendre le ballon jusqu'à 5 300 pieds.  Nous pensons alors que l'humidité de l'air se condense sur l'enveloppe du ballon puis nous tombe dessus. Ce ballon n'a pas de jupe de pluie qui laisse la pluie s'égoutter à l'extérieur de la nacelle. Tout est mouillé, on met la carte de coté, elle est inutilisable, Danielle se sert de couverture de mylar pour couvrir une partie de la nacelle de l'anneau de charge jusqu'aux haubans mais ça fait des poches d'eau qu'il faut vider régulièrement. Danielle place une autre couverture en mylar sur moi, le sac de couchage et nos vêtements deviennent  de plus en plus trempés. Pas facile de dormir dans ces conditions.

À 00 h 25,  la pluie cesse, et le poids en moins sur l'enveloppe nous fait monter de 1 700 pieds. Nous sommes à 45 milles nautiques SSO de Tulsa, OK.  On nous informe de la présence d'orages en avant de nous, qui devraient se dissiper avant que nous nous rendions à eux. Le ballon continue à monter, nous sommes maintenant à 8 900 pieds avec un cap de 104° et une vitesse de 11 kts. Cette direction ne nous convient pas, nous laissons échapper de l'hélium pour amorcer une descente.

Pour la première fois depuis le problème avec le véhicule de poursuite, nous avons un contact radio avec eux. Ils sont à un peu plus de cent kilomètres derrière nous. Nous sommes ravis de pouvoir communiquer avec notre équipe de poursuite sur une aussi grande distance, c'est principalement notre hauteur qui fait la différence. Ils sont heureux de savoir qu'ils s'approchent de nous. Le comité organisateur leur a trouvé une camionnette, gracieuseté de Budget. Ils ont obtenus notre position approximative par le poste de commande.

J'utilise le cherche étoiles pour voir notre direction  puisque la carte est rendue inutilisable. À 2 h 30, je réveille Danielle, elle me demande si j'ai besoin d'être remplacé. Je lui dis : « Non, lèves toi, je veux que tu voix quelque chose! » Un gros nuage vient d'apparaître juste derrière nous, il  a commencé à se former il y a moins de cinq minutes, son angle  est de 70°, et le sommet me semble à environ 20 000 pieds. Tous les deux, nous montrons un calme apparent pour ne pas effrayer l'autre inutilement. Ce nuage a disparu presque aussi vite qu'il s'est formé.  Un peu plus tard, vers trois heures du matin, nous sommes à 5 200 pieds avec un cap de 103° et une vitesse de 21 kts, et nous voyons de plus en plus d'orages électriques. Il n'est pas facile la nuit de savoir quelle est la direction des orages, surtout quand on est par-dessus les nuages. Selon notre estimé (selon la track du GPS et la lecture de la boussole) on a l'impression que les orages sont bel et bien dans notre trajectoire. J'appelle la station d'information de vol McAllister qui nous confirme qu'il y a bel et bien des cellules orageuses à 30 milles et à 40 milles en avant un peu à droite de nous mais que leurs trajectoires diverges de la nôtre. Les vents au sol sont du nord à 14k ts avec des rafales à 22 kts. Nous sommes un peu rassurés par ces informations. Nous souhaitons de toutes nos forces de ne pas a avoir à atterrir de nuit par un temps pareil.

Cette information nous rassure un peu, mais dix minutes plus tard, je rappelle la station d'information de vol pour leur redemander la même chose.  Ils nous reconfirment que nous ne rattraperons pas les cellules orageuses. Il nous semblait pourtant que les orages s'approchaient. Nous  délestons un peu pour gagner de l'altitude, et à 6 300 pieds nous avons un cap de 093°, notre vitesse est montée à 31 kts. Ça nous rassure un peu. Ces cellules orageuses finissent par disparaître et le reste de la nuit est calme. Il n'est pas nécessaire, de dire que ce fut le moment le plus terrifiant de notre vol et même de tous nos vols jusqu'à date.


À 5 h 00 nous appelons la station d'information de vol de Fort Smith pour avoir les vents en altitude. Ils nous disent qu'ils n'ont pas la prévision des vents, mais que les nuages allaient se dissiper durant la journée. Les contrôleurs du trafic aérien cherchent un ballon avec une immatriculation britannique. Cette équipe avait demandé d'être suivie par le radar, mais a disparu des écrans, ils ont perdu toutes communications avec eux.  C'est seulement plus tard après le vol que nous avons su que Simon Forse s'est brisé la colonne durant un atterrissage d'urgence. Selon les informations que nous avons eus, ils étaient seulement à 10 milles au Sud-Ouest de nous quand la météo l'a forcé à atterrir sur un terrain inhospitalier, vers 3 h 30 du matin.

À 5 h 30, quelques gouttes de condensation nous tombent dessus. Nous sommes à 6 100 pieds, soit  plus de 2 000 pieds au dessus la couche nuageuse. Au levé du soleil, nous observons, dans les nuages, des vagues qui ressemblent aux vagues de la mer. C'est la première fois que nous observons ce phénomène. On se rend compte en comparant  la carte, le GPS aidant, avec le relief de ces vagues, qu'elles sont en conformité avec le relief du terrain. Il y a un canyon dans les nuages tout comme celui que l'on retrouve  plus bas.

À 6 h 00, nous avons une mise a jour des conditions de météo, les vents en altitude vont vers l'est tandis que les vents au sol viennent du nord. Il y a une dépression à l'est, en Arkansas et au Kentucky. Il y a une ligne de précipitation du Nord-Est du Kentucky jusqu'au sud du Tennessee, qui se déplace vers l'est. Nous sommes à plus de 300 milles à l'ouest de cette ligne.  À 7 h 00 nous avons un appel de la tour de contrôle nous informant qu'un trafic passerait au sud. À ce moment, nous apercevons un gros porteur à plusieurs kilomètres de nous, percer les nuages en montant à son niveau de croisière.  Nous avons commencé notre ascension due au réchauffement solaire, depuis une demi-heure. De 6 000 pieds nous sommes maintenant à 7 700 pieds.

À 9 h 30, nous sommes à 12 400 pieds avec un cap de 125°, et une vitesse de 26 kts. Pendant que je dors, Danielle observe attentivement deux couches de nuages sous nous. Elle se rend compte que la couche la plus haute, va plus vite que nous, et que ces nuages vont directement vers l'est, la direction que nous voulons, tandis que l'autre couche la plus basse, se dirige vers le sud à une vitesse plus faible. Elle me réveille pour avoir mon opinion. Après plusieurs coups de soupape, nous finissons par obtenir la direction et la vitesse recherché. On se stabilise à 8 000 pieds, nous sommes environ 1 500 pieds plus haut que les nuages dont nous envions la vitesse et la direction. Nous avons encore 9 sacs de sable et avons parcouru plus de 1 300 km. Nous sommes heureux d'avoir eu ce message de la part des nuages, puisque nous avons été incapables de communiquer avec Météo Média . Notre téléphone ne fonctionne pas, et notre équipe de poursuite n'est pas arrivée à décoder les messages  du système de répondeur francophone.

À 10 h 30, nous avons une nouvelle mise à jour de la météo par la station d'information de vol de Little Rock (Arkansas). Le front est maintenant de Chattanooga, TN, en passant par Baton Rouge, et se termine à San Antonio, TX. Ce front se déplace vers le Sud-Est. Pendant quelques heures, nous gardons un cap de 115°  avec une vitesse de 27 kts, nous suivons la rivière Arkansas pendant un bon moment. Les méandres de cette rivière nous font penser à un très long serpent dans la vallée. À 13 h 00, nous  survolons la rivière Mississippi.  Sa grandeur, ses grands bancs de sables et ses grands espaces boisés vert foncé rendent le paysage majestueux. Nous sommes impressionnés de voir ce si belle choses. Un relief truffé de champs cultivés de différents tons de vert et parsemé de bassins d'eau qui sont sans doute pour l'élevage de poissons, un vrai délice.

Nous réalisons que notre trajectoire tourne lentement vers le sud  À 15 h 00, nous avons un cap de 130° . Nous appelons la station d'information de vol, ils nous confirment ce que nous savons déjà : les vents plus hauts sont un peu plus lents et se dirigent encore plus vers le sud. Les vents au sol sont du nord à 10 kts. Le front froid est maintenant de Chattanooga à Hattiesburg MS jusqu'à Houston, TX. Les vents au front tournent vers la droite de 90°. Le couché du soleil est à 17 h 40, heure d'Albuquerque. Nous traçons une nouvelle trajectoire de notre vol. Nous avons assez de leste pour une autre nuit. Nous sommes suffisamment reposés pour faire une autre nuit.

D'un autre coté, les vents nous porterons au-dessus du Golf du Mexique avant le lever du jour, et nous ne voulons pas planifier faire un atterrissage de nuit. À 16 h 00, nous décidons d'atterrir avant le coucher du soleil. Nous commençons les procédures pour l'atterrissage vers 16 h 45. Nous ouvrons 9 fois la soupape durant 4 secondes avant de maintenir un taux de descente de 200 pi/min. Nous sommes au-dessus d'un bois assez dense, mais il y a des champs ouvert un peu plus loin. À 500 pieds du sol, nous avons un taux de chute de 300 pi/min. et la direction vient de changer de 90° vers la droite, une direction moins souhaitable. Danielle s'occupe du leste et moi de la valve. Danielle jette quelques tasses de sable pour stabiliser le ballon juste au-dessus de la cime des arbres.  Mais, nous descendons toujours, et nous nous dirigeons directement sur un dôme radar. Nous sommes trop bas, alors Danielle jette encore du sable, notre vitesse est de 15 kts, la correction est un peu forte, nous remontons à 500 pieds.  On voit un beau champ brun en avant de nous, juste dépassé une route avec une ligne électrique. Il y a un autre champ plus petit  500 mètres plus loin. La stratégie est de faire un arrondi juste avant la route, puis laisser descendre la corde de manœuvre (trail rope) une fois passé la route et les fils. C'est une corde de 50 mètres de long qui pèse 12 kilos, elle sert à ralentir la chute a mesure que le poids de la corde touche par terre. Elle ralentit légèrement la vitesse. Elle sert aussi à orienter la nacelle du bon coté pour l'atterrissage. On s'organise pour avoir le coté opposé aux instruments vers l'avant,  on se sert du coussin du lit pour amortir le choc de l'atterrissage. 

On amorce une descente à 200 pi/min. mais on se dirige directement sur un gros pin, nous préférons toucher cet arbre pour nous ralentir. La nacelle s'arrête sur l'arbre en question, tourne un peu mais reste accroché.  Je m'assure qu'aucune corde ne reste prise dans les branches, puis nous laissons le temps faire son œuvre. Nous ne voulons ni monter ni descendre, Danielle s'assure que l'équilibre est maintenu. Finalement le tout se dégage, nous sommes à une bonne hauteur pour le champ brun devant. Nous traversons la route et les fils, puis nous laissons  la corde de manœuvre se dérouler. Normalement lorsque la corde est complètement déroulée, une bonne secousse se fait sentir, mais nous avons eu qu'une petite secousse. Surprise, l'attache qui retient l'autre bout de la corde à l'anneau de charge lâche, et voilà toute la corde qui descend direct en bas. Elle tombe dans le petit ruisseau juste à coté de la route. On se regarde, puis on se met à rire. Ayant perdu un tel poids, on se remet à remonter,  un autre coup de soupape, on ne peut se permettre de manquer l'autre champ, c'est le dernier avant longtemps, et le jour va tomber dans moins de vingt cinq minutes. Notre vitesse est maintenant 10 kts. Comme avec une montgolfière, on touche le sommet des arbres pour se ralentir, puis on descend les derniers 15 mètres a un angle assez fort. Deux secondes avant de toucher le sol, nous tirons chacun notre manche de dégonflement, la nacelle touche sans même rebondir. Moins de cinq minutes après notre atterrissage, une camionnette arrive, six jeunes hommes en sortent, ils nous surveillaient depuis le début de notre approche. Ils travaillent  à l'aéroport pour une compagnie d'arrosages. Ils nous expliquent que le pont  qui mène à ce champ a été détruit l'an passé, et qu'il faut faire un long détour pour venir jusqu'ici.

Notre équipe de poursuite est tout près selon les informations qu'ils nous donnent, ils sont à moins de deux kilomètres, ils ont aussi trouvés que le pont pour venir nous rejoindre était hors d'usage. Danielle est repartie avec deux des garçons pour retrouver l'équipe et ramener la corde de manœuvre, tandis que je me fais aider des autres pour dégonfler le ballon. Le propriétaire de la place est arrivé entre temps, il nous a aussi aidés. La nuit est tombée durant le temps que Danielle revienne et que nous ayons fini de ramasser le ballon et ses équipements. Nous nous sommes rendu à Jackson pour un bon souper et nous y passerons la nuit.

En sortant du restaurant, on se rend compte que le vent a augmenté considérablement. Nous sommes bien satisfaits de la façon dont les choses se sont passées. Donna et Laura pensent que nous sommes deuxième, nous ne partageons pas cet optimisme étant donné qu'il y a encore deux équipes en vol. Nous apprécions tous une bonne nuit de sommeil.

Le lendemain, nous retournons dans le petit village de Goodman où nous avons atterris, pour faire oblitérer notre courrier, puis nous reprenons la route pour Albuquerque. C'est seulement à ce moment que nous avons eu la confirmation de notre deuxième place. Nous avons volé pendant 43 heures et trente minutes ayant franchis une distance de 1562 kilomètres. Le chemin de retour est un peu long, nos équipières auront conduit 4 000 km en quatre jours. Nous n'avions jamais pensé faire si bien.


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